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Auteure et interprète Chantal Lebaillif

Les silencieuses ou l’histoire d’une transmission confisquée est le premier volet de la trilogie : « Le temps continue… »

La pièce a été créée le 18 novembre 2019, au Théâtre de « La Rue » de Mandres-les-Roses avec le soutien de la ville de Villecresnes (94).

Mise en scène : Chantal Lebaillif,
Création lumières : Jacques Duvergé,
Scénographie : Stéphanie Laurent,
Musique : Francis Courtot,
Photos : Joanna Tarlet Gauteur.
Crédit affiche : Amandine Masson.

Trois femmes de trois générations différentes : la grand-mère (Alexandrine ou Mée), la mère (Sophie ou Sosso), la fille (Camille ou Mie-Mie). Elles ne se parlent plus. La courroie de transmission est rompue.
On passe de l’une à l’autre, au rythme de six séquences qui défilent devant nos yeux, d’une façon qui semble aléatoire.

Mie-Mie a accepté de rendre service à une collègue, transmettre une lettre à un certain Umberto, qui est peut-être un terroriste. On la verra l’attendre dans un vieux théâtre abandonné, inusité depuis longtemps, rempli de poussière et de vieux livres. Ces vieux écrits gisent là, silencieux et gardiens d’un savoir que certains disent désuet. Umberto est en retard. Dans cette attente forcée, les mots de sa grand-mère qui lui reviennent en mémoire, mêlés à ceux des bouquins, vibrent comme un tremplin qu’elle utilise pour l’aider à formuler ses propres interrogations : de quel côté est la terreur ? De quel côté est l’horreur ? Où est la violence ? De quoi est-elle faîte ? Ébranlée par cette réappropriation des mots, on la voit peu à peu sortir de son silence têtu et se familiariser à nouveau avec cette idée de futur.

Mée, installée devant son écran plat, est fière de « son progrès ». Mais la mort rôde, le temps lui est compté et elle ne veut pas mourir sans laisser « sa trace ». Soucieuse de transmettre son expérience à sa fille, elle se bat pour trouver les mots justes : « Cette idée de ne plus jamais rien lui transmettre, pas même le souffle d’un seul petit mot, me bouleverse, me fait suffoquer à la vérité, pire que cela, crever, oui, crever… Je suis posée là, vidée de toute pensée, sans devenir, éteinte avant la mort…Puis l’envie de lui parler me reprend ! » En réalité, son passé lui fait peur car elle a des tas de choses à se faire pardonner. Après plusieurs tentatives inutiles, Mée abandonne la partie et se laisse engloutir dans le bruit et le mouvement des images préfabriquées de son écran plat. Silencieuse à tout jamais, la modernité lui a joué des tours.

Sosso ne veut pas « se prendre la tête ». Pour elle, la marche du monde est inévitable. Elle se prépare à une nouvelle « bunkerisation » !
Peu importe sa fille, chacun vit sa vie !
Jusqu’au jour où les autres, les collègues, les voisins, les amants deviennent trop compliqués. Elle décide alors, en dehors de toute vraisemblance, de construire un mur, un vrai, en dur, pour mieux s’isoler des autres, pour s’emmurer. Très fière de son idée, qu’elle pense d’une grande audace, elle tombe de haut quand elle voit d’autres personnes construire, comme elle, leur propre mur. « D’où vient cet élan, ce goût commun pour un truc aussi dingo ? » Elle qui ne voulait pas se prendre la tête se trouve propulsée dans le champ de la réflexion, plus démunie qu’un enfant.

Spectacle tout public à partir de 15 ans – Durée : 1h30.

À propos de la pièce

L’impact considérable des nouvelles technologies sur nos existences n’est plus à révéler. Dans ces périodes de grandes incertitudes, tout semble être voué à la destruction. Avant de faire table rase, il est peut-être important d’interroger et de penser tous ces changements. Bien souvent, le passé, considéré comme le reflet des conflits archaïques de l’humanité et la culture comme une source d’élitisme, apparaissent comme un vieux fardeau, source d’empêchement pour les nouvelles générations. Selon Antonio Tabucchi, « la courroie de transmission entre les générations ne marche plus, ce qui vient alimenter nos temps obscurs construits sur l’oubli. »

Il y a donc ce désir d’interroger ce lien ténu, fragile, et pourtant indispensable entre les générations, pour que ce qui doit se transmettre puisse servir de socle à la mise en œuvre de demain.
Il y a aussi cette peur sourde (peut-être est-ce la même chose) mais combien tenace de voir s’effondrer la place réservée à la pensée et à la culture. Dans un monde de l’immédiateté, de l’hyper vitesse, globalisé et chiffré où la communication a remplacé le dialogue, la consommation l’épanouissement et la compétition l’émulation, où se trouve l’espace réservé à la pensée, la culture, l’humain ?
Les moyens techniques sont énormes et le deviendront encore plus demain, permettant à ceux qui possèdent ces fameuses banques de données numériques d’éduquer, de développer des « compétences » chez des millions d’hommes et de femmes dans un espace mondialisé continu et homogène, supprimant ainsi toutes les voix dissonantes. Une colonisation mentale s’opère déjà insidieusement avec la diffusion de concepts répétés à satiété dans différents médias, réseaux sociaux (émigration, crise, dette, terrorisme, etc…). Sous couvert d’ultra-modernisme et d’hyper-vitesse, nos concepts ordinaires de vérité, savoir, et connaissances se voient littéralement disqualifiés. Toutes ces images et tous ces bruits que toutes nos techniques hautement performantes vomissent en continu pour divertir et convaincre pourraient faire de nous de vrais taiseux. Pourtant dans ce face à face continuel entre l’homme et la machine, quelques uns, seulement, inventent le futur, pendant que la plupart s’amoindrissent jusqu’à l’effacement.

Ne reste plus que soi, seul, isolé, appauvri, devenu la proie facile des rapaces de toutes espèces.

Et pourtant ces nouvelles technologies offrent de formidables possibilités encore inusitées !
Un plateau de théâtre pour s’en débarrasser ? Non. Pour résister, pour interroger, pour en parler en-dehors de tous les slogans qui escamotent toute pensée.
Confrontés à une désolidarisation de tous nos liens les plus profonds, nous sommes déjà pris dans la spirale de l’enfermement.
Un plateau pour théâtraliser cet isolement insidieux qui nous poursuit sans bruit.
Ces trois femmes soliloquent sans jamais réussir à nouer le contact, leurs paroles résonnent comme les coquilles vides du prêt-à-penser, martelées par d’innombrables slogans. Leurs destinées s’enlisent dans ce qu’elles pensent être leurs croyances. Incapables de paroles, le silence va les anéantir. Seule la plus jeune réussira à combattre ces mots de pacotille, pour retrouver le goût des mots pleins. Son imagination, confisquée jusqu’alors, pourra s’ouvrir à un avenir possible !

Les Silencieuses

À propos de la mise en scène

Comme les personnages de Beckett, ces trois femmes, qui attendent aussi chacune à leur manière, n’arrêtent pas de jacasser. Elles parlent, parlent à n’en plus finir… pour ne surtout pas entendre leur silence !
Ces trois femmes se trouvent liées par le lieu, mais elles ne le savent pas : un théâtre, un vieux théâtre abandonné. C’est là où elles se trouvent, sans jamais se rencontrer.
Mie-Mie y a un rendez vous. Mée y a travaillé. Sosso y a trouvé refuge.

J’aime cette idée que le théâtre les accueille dans leur solitude et sera le gardien de leurs mots énoncés dans leur intimité. Leurs voix se mêleront à celles des autres personnages. Et chacun sait combien le théâtre peut en abriter ! Nous sommes donc résolument au théâtre et nous verrons la comédienne changer de costume pour passer d’un personnage à l’autre. La grand-mère, la mère et la fille seront jouées par la même comédienne, pour mieux incarner cette filiation impossible et pourtant évidente.

Elles vivent dans un univers clos, à l’image des personnages prisonniers des cages de Francis Bacon. Des hauts bâtons, plus ou moins inclinés, viennent diviser l’espace. Prisonnières de murs invisibles, elles désapprennent les mots adressés à l’autre. Heureusement le théâtre peut offrir à la parole un lieu de résonnance. Le pire qui pourrait nous arriver serait de rester silencieux ! Mie-Mie qui réussira à abattre ses mûrs intérieurs, nous met en garde : « on ne part jamais de rien…Continuer à parler pour ne pas briser la continuité, mais oser écrire avec l’énergie radicale de tout commencement !…Voilà toute l’affaire ! »