Skip to main content

Adaptation et interprétation de Chantal Lebaillif.

La pièce comprend l’adaptation de deux textes L’indigent philosophe et Le cabinet du philosophe de Marivaux.

Elle a été créé le 1° avril 2010, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Cyr-L’Ecole (78).

Mise en scène : Chantal Lebaillif,
Création lumières : Jacques Duvergé,
Scénographie : Stéphanie Laurent,
Musique : Francis Courtot,
Photos : Jacques Duvergé.
Crédit affiche : Batmanu.

L’adaptation théâtrale met en scène une femme. Mais notre indigent pourrait être un homme, cela ne change rien à cette affaire de pauvreté ; disons que c’est une femme qui a dû bien des fois se déguiser en homme, comme souvent chez Marivaux.

Cette femme est âgée, enfin disons qu’elle a plus de 50 ans. Bientôt, « elle n’aura plus de place dans ce monde que voilà, les [gens] sont devenus trop pressés. » Mais elle voudrait leur laisser ses réflexions, une trace, et leur transmettre son expérience. Personne ne l’écoute ! Elle est seule et surtout elle est pauvre. Son indigence fait fuir ses contemporains.

Le seul petit témoin qu’elle a trouvé est une espèce de statuette (ressemblante aux statues de Giacometti, animées d’une volonté d’avancer envers et contre tout) qu’elle a rencontrée par hasard sur un banc, il y a fort longtemps. Il ne lui reste plus que ce drôle de petit personnage. Elle en fait son confident, son légataire, lui raconte tout et l’emmène partout, lui seul sera le témoin de sa quête. Sa quête, sa raison de vivre tiennent en une phrase : après avoir rencontré dans sa misérable vie un homme bon, juste, digne de ce nom, elle s’est mise en tête de « chercher cette espèce d’homme-là un peu partout en France », comme elle le dit.

Au cours du spectacle, on la voit à différents moments de sa vie, une fois en jeune fille, pleine de fraîcheur et d’insouciance, une fois au café, en train de choquer son verre plus souvent qu’il ne faut ; une fois âgée, fatiguée mais digne ; une fois adulte, lucide et révoltée.
La chronologie n’est pas respectée, pour plus de chaos encore. Pourtant, comme un puzzle reconstitué, sa vie nous apparaît, certes, en quartiers, fissurée, brisée mais toujours remplie de tendresse et de générosité, avec une foi inébranlable dans l’existence d’un homme bon et digne de ce nom.

Spectacle tout public à partir de 12 ans – Durée : 1h30.

À propos de la pièce

La fausse suivante que j’ai montée en 2005 m’a permis d’approcher la finesse, la profondeur et l’étendue de l’œuvre de Marivaux et depuis, l’envie d’y revenir ne m’a jamais quittée. Le spectacle, ici, s’articule essentiellement autour d’une sélection particulière de feuillets tirés de L’indigent philosophe écrit en 1727, mais également du Cabinet du philosophe écrit lui en 1737. Marivaux choisit un porte parole (le texte contient beaucoup d’éléments autobiographiques) provocant qui n’est rien d’autre qu’un gueux dans l’existence de laquelle les autorités voient un défi permanent à l’ordre social. L’auteur confère à notre indigent la joie de penser et en fait un philosophe de tempérament dont certaines réflexions se teintent de critiques acerbes. Une amère lucidité laisse notre porte-parole marivaudien seul parmi les hommes avec ses réflexions. Pour la première fois, Marivaux ose envisager l’existence du mal, cette « lumière affreuse ». Les derniers feuillets le montrent désabusé. Ils donnent à voir le spectacle de la société des hommes masqués et asservis et laissent découvrir que « celui qu’on appelle valet est le moins valet de la bande. »

Au centre de ce texte, il y a la figure de l’Exclu. Marivaux s’est toujours intéressé aux exclus. Il a très souvent interrogé la place et le rapport qu’entretenait la société avec ces étrangers. L’originalité de sa pensée et la radicalité de ses positions politiques et philosophiques s’articulent autour de la fraternité essentielle, mais cette notion est plus compliquée qu’il n’y paraît. La révolution de 1789 en sait quelque chose avec les droits de l’homme d’un côté et l’ordonnance du 3 août 1793 de l’autre (fameuse pour son exclusion des étrangers).
Si la fraternité est une expérience commune, elle indique aussi que dans ce même, il y a de la singularité, de la différence, source de réelle richesse. Fraternité/singularité est un couple indissociable, souligne Marivaux, et c’est ce couple qui assure la fin de l’exclusion.

Qu’en est-il de la fraternité aujourd’hui ? De ce sentiment d’appartenance à l’humanité ? De cette conscience du bien commun ? (je pense à notre planète, à notre culture, à notre art, à notre mémoire collective) Renouer avec la fraternité aujourd’hui est-il notre salut, comme le pensait Marivaux, pour ce 21°siècle ? Nous aurions dû l’écouter, bien avant, et retenir qu’il faut toujours jeter un coup d’œil du côté des voix dissonantes.

À propos de la mise en scène

Les différents âges de notre indigent, les différents lieux de sa quête apparaissent précisément sur le plateau, comme des tranches de vie. À chaque tranche, une parcelle d’espace scénique : un grenier, un café, une grande ville et une petite bourgade de province.
Quatre lieux, quatre accessoires, quatre couleurs, quatre éclairages singuliers avec un univers sonore particulier pour chacun.
Des carrés à la façon de Mondrian couchés sur le plateau et délimités nettement pour mettre du sens dans ce chaos. Ces séparations sont en réalités poreuses et forment un tout, plus cohérent qu’il n’y paraît. Car malgré ses tergiversations, notre indigent se laisse guider, obstinément, sans aucun compromis, par cette même quête imperturbable et sa foi inébranlable dans l’existence d’un homme capable d’humanité.