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En géologie, le limon est le nom donné à une roche qui se trouve être, paradoxalement, le constituant premier de sols légers et fertiles.
Mais c’est aussi un lieu-dit, celui-là même où Copeau a répété en 1913 avec sa jeune troupe « Une femme tuée par la douceur » de Thomas Heywood, la pièce qui a été donnée à l’occasion de l’ouverture du théâtre Le vieux Colombier à Paris.

Ces deux clins d’œil ont jeté les bases de cette compagnie et, qui sait, lui ont donné la force de continuer contre vents et marées, dans cette aventure théâtrale toujours pleine d’imprévus.
Depuis sa création en 1993, par Chantal Lebaillif, Le Limon est installé à Montreuil-sous-Bois (93), même si la compagnie a trouvé deux fructueuses collaborations avec le territoire des Yvelines et celui du Val-de-Marne.

Les créations théâtrales du Limon ont toujours donné toute la place tant à l’intransigeance de l’écriture qu’à la précision du jeu du comédien. Ces deux axes sont les piliers essentiels du travail de la compagnie.

Les créations lumière, musicale et scénographique sont toujours interrogées dans le sens d’un dialogue entre le texte et le jeu, comme pour offrir une autre résonnance au corps du comédien, un ailleurs où les mots viennent se loger, avant de le traverser.

À chaque nouvelle fiction, il faut tout repenser : qu’est-ce qu’il y a de singulier dans ce récit-là ? Qu’est-ce qui doit changer, se déplacer, dans la lumière, la musique, la scénographie, jusque dans le corps du comédien pour laisser place à l’inédit ?

Donner à voir et à entendre les mots incarnés, comme des ombres éclairées dans un espace rythmé de musique et de silence.

Essayer de continuer à « re-présenter » notre monde et à le célébrer.

Le théâtre du Limon tente imperturbablement d’être au plus près, au plus vrai, au plus juste de ce qui peut être re-présenté de cette histoire du monde qui continuera à vivre.

Si le théâtre est inséparable de la mémoire, si le théâtre est le lieu des réminiscences, alors l’esprit de Marivaux, Tchekhov, Virginia Woolf, Pirandello, Beckett, Copeau, Dullin, Jean-Pierre Vincent, Strehler, Mnouchkine (pour parler des plus familiers) sont sans cesse évoqués, interrogés, revisités. Ils servent de guide dans cette tentative d’élaborer des ponts pour demain… d’inventer un autre récit pour continuer notre histoire !

Un plateau de théâtre est le lieu de « la première fois ». Pas de duplication possible ! Dans ce bricolage incessant, ce qui s’ajuste une fois en un instant ne garantit rien de l’instant d’après. Impossible de mentir ou de tricher, autre paradoxe : « Être comédien, ce n’est pas faire semblant, c’est faire exprès ! » (Dullin).
Ce vivant échappé, survenu, se partage avec le public ; c’est un acte collectif, une expérience unique et commune qui crée du lien, qui peut parfois « déplacer » le spectateur… Et quand c’est le cas, la partie est gagnée, un peu de transmission est devenue possible !

La transmission est au cœur même du théâtre.

Rien de spectaculaire : pas de surplus, pas d’encombrement.

La recherche est ailleurs : dans le balbutiement d’un petit événement, né parfois d’un accident, un tout petit accident, sur le plateau, à peine audible, à peine visible, comme la fabrication d’un murmure pour demain.
Cet art du « vivant » nous oblige à rester vigilant, à rester ouvert et à toujours nous questionner. Chaque détail, chaque accessoire a sa place sur le plateau.

Avec sa singularité, comment le théâtre peut-il venir nous bousculer et nous déplacer dans nos certitudes ?
Sans complaisance aucune, avec l’obstination de celui qui cherche et qui doute, au-delà des apparences et des modes, il faut continuer à fouiller derrière les mots, au risque parfois de surprendre, et oser s’opposer aux discours ambiants, aux lieux communs, là où la pensée se laisse enfermer.

Comment le théâtre peut-il représenter, au delà de ce qui se voit, se sait et se dit, les tensions, les mouvements qui nous agitent aujourd’hui ?