De Marivaux
Avec : Carole Brossais (le Chevalier), Gaëtan Gallier (Lélio), Chantal Lebaillif (la Comtesse), André Nerman (Trivelin), Daniel Schröpfer (Arlequin), Stéphane Simonneau (Frontin).
La fausse suivante a été crée le 10 mars 2005, au théâtre Gérard Philipe de Saint-Cyr-L’Ecole avec le soutien (aide à la création) du conseil général des Yvelines.
Mise en scène : Chantal Lebaillif,
Création lumières : Jacques Duvergé,
Scénographie : Stéphanie Laurent,
Musique : Francis Courtot,
Photos : Jacques Duvergé.
Crédit affiche : Batmanu.
La Comtesse et Lélio se connaissent depuis longtemps. Ils ont déjà fait quelques transactions financières et se trouvent ainsi liés par des reconnaissances de dettes. Ils doivent se marier le jour même. Maintes péripéties retardent le mariage de quelques heures, créant peu à peu une intrigue complexe. En effet, Lélio vient d’avoir une autre proposition de mariage avec une jeune fille de Paris beaucoup plus fortunée que la Comtesse ! Or il se trouve que la veille au soir dans un bal, Lélio a rencontré un jeune homme, le Chevalier, dont le charme n’a pas laissé indifférente la Comtesse. Lélio s’en est aperçu et quelques idées sont venues lui chatouiller l’esprit : tout faire pour précipiter la Comtesse dans les bras de ce jeune homme afin de se retrouver libre et d’épouser cette grosse fortune de Paris, sans avoir à payer sa reconnaissances de dettes à la Comtesse !
Spectacle tout public à partir de 12 ans – Durée :2h.
À propos de la pièce
Dans La fausse suivante, écrite en 1724, les personnages, pris dans une quête irrépressible d’argent et de pouvoir, en arrivent à être effrayés eux-mêmes par leur propre hardiesse et ignominie de leurs calculs. Pourtant, ils ne résistent pas à leurs scrupules, et vont jusqu’au bout de leurs manigances. Ici, on ne s’embarrasse pas des sempiternelles lois du réalisme ; on détruit les conventions, on repousse les limites, on exacerbe les désirs. Le Chevalier, cette jeune fille qui se travestit à la veille de son mariage, affronte les adultes à coups de mensonges. Derrière son masque, elle regarde, observe ce monde et pour le mettre à nu, elle en épouse les défauts. Peut-elle en sortir intacte ? Et les autres, La Comtesse, Lélio, Trivelin, Arlequin, Frontin, tous sans exception se testent, s’épient, se mentent. Il y a quelque chose de fascinant dans cette façon d’instaurer le mensonge comme être au monde, miroir d’une peur ou d’une incapacité à être vraiment.
« Il reste à faire le négatif, le positif nous est déjà donné » a écrit Kafka. Deux siècles avant lui, Marivaux a su parler de ce retournement, qui dit notre vérité.
On pense également aux personnages de Pirandello, qui avancent masqués eux aussi : où commence la réalité et où s’arrête la fiction ?
Enfin, il y a la langue. Et quelle langue ! Elle est belle, riche, subtile et ancrée dans les tourments de la chair. Le doute, le désir, la souffrance et la cruauté des personnages se disent ou se masquent grâce aux mots. Le dialogue a une fonction dramatique, ce n’est pas un discours, toute l’action est contenue dans la parole. La durée de la pièce est celle de la nécessité du langage. La pièce se termine lorsque la parole est épuisée.
À propos de la mise en scène
Cette quête d’argent et de pouvoir est une nécessité impérieuse, physique, viscérale pour chacun des personnages, elle façonne leur rapport aux autres et bouleverse leur humanité. Aucun frein ne peut les arrêter. Marivaux se fait le témoin de cette société en perdition, qui est prête à mettre le feu aux poudres, pour arriver à ses fins. Trois siècles plus tard, après cette incontournable barrière de 1789, comment parler de cette perdition là ? Les rapports sociaux et humains qui ont façonné l’Ancien Régime ne se sont pas évanouis avec la prise de la Bastille. Cette société perdue a durée jusqu’en 1914. Comme l’écrivait Gertrude Stein le 2 août de cette année là : « la vieille vie vient de finir. »
Le monde que peint Marivaux est en mouvement. 1789 n’est pas loin. Si Lélio n’a pas encore réellement compris l’émancipation de ses valets, le Chevalier est déjà beaucoup plus au fait de cette évolution. Elle devine que son rang seul ne peut constituer un moyen de pression suffisant. Le prestige et la croyance en la noblesse sont déjà désuets. Le règne de l’argent a commencé. Ce nouveau Dieu, devenu l’unique boussole aujourd’hui, est déjà dans La Fausse suivante sur le point de balayer toutes les résistances morales et sociales.
La fausse suivante écrite au début du 18°siècle parle en réalité de la fin d’un monde, qui a donc persisté jusqu’en 1914 et du début d’un autre, sur les cendres desquelles nous marchons encore aujourd’hui.
Pour aller jusqu’au bout de cette idée de forte parenté avec les années 1914, la scénographie de Stéphanie Laurent emprunte ses couleurs ocre et vert-de-gris, ses faux bois et ses papiers de journaux collés, à Georges Braque. Des panneaux de bois ou d’acier, quatre cubes de différentes tailles, constituent le décor entièrement modulable. Les comédiens peuvent manipuler les cubes, pour mieux souligner ce théâtre en mouvement.
Pirandello, considéré comme le continuateur de Marivaux, avait quarante sept ans en 1914. Puisque cette mise en scène donne, comme cadre historique, les débuts de la première guerre mondiale, les personnages de la pièce épousent les silhouettes et les costumes de l’univers pirandellien.
La musique de Francis Courtot est une pièce pour cymbalum seul. La partition résolument contemporaine vient nous signifier, à la manière de Marivaux que la poésie, la musique, le théâtre continueront leur chemin, traversant les siècles, pour venir jusqu’à nous. Ce n’est pas un incendie aussi important soit-il qui peut arrêter ce mouvement là !